L’imâm Ach-Châfi‘î (Rahimahou Allah)
Les transmetteurs s’accordent que Mouhammad Ibn Idrîs Ach-Châfí‘î est né en l’an 150 AH, année au cours de laquelle mourut l’imâm Aboû Hanîfa.
Concernant sa filiation, la plupart des historiens affirment que son père était un qouraychite descendant d’Al-Mouttalib et que son nom complet, ainsi que sa généalogie, est Mouhammad Ibn Idrîs Ibn Al-‘Abbâs Ibn ‘Outhmân Ibn Châfi‘ Ibn ‘Oubayd Ibn Abî Yazîd Ibn ‘Abd Al-Mouttalib Ibn Hâchim Ibn ‘Abd Manâf. Le Prophète (Paix et Salut de Dieu sur lui) et lui-même sont tous deux descendants de ‘Abd Manâf par ‘Abd Al-Mouttalib.
Ach-Châfi‘î était donc un descendant de ‘Abd Manâf dont les fils étaient Al-Mouttalib, Hâchim, ‘Abd Chams, l’ancêtre des Oumayyades, et Nawfal. Al-Mouttalib a élevé ‘Abdu Al-Mouttalib, fils de son frère Hâchim, et grand-père du Messager d’Allâh, qu’Allâh le bénisse et lui accorde la paix. Les Banoû Al-Mouttalib et les Banoû Hâchim formaient une unité à laquelle s’opposaient les Banu ‘Abd Chams à l’époque de la Jahiliyya. Ce fait eut deux conséquences après l’avènement de l’Islam.
La mère d’Ach-Châfi’î était issue des Azd .
Il grandit dans une famille pauvre déplacée en Palestine, et vivant dans le quartier yéménite. Plusieurs témoignages à propos d’Ach-Châfi‘î indiquent que son père est mort alors qu’il était encore un jeune garçon, et que sa mère l’emmena vivre à la Mecque.
Yâqoût Al Hamawî rapporte qu’Ach-Châfi‘î a dit, “Je suis né à Gaza en l’an 150AH et je fus emmené à la Mecque lorsque j’avais deux ans.” On rapporte également qu’il avait dix ans lorsqu’il arriva à la Mecque.
Les divers témoignages établissent clairement que son intelligence et son ingéniosité furent visibles dès son éducation primaire. Par exemple, lorsqu’Ach-Châfi‘î apprit le Qour’ân, sa grande capacité intellectuelle ne fit aucun doute étant donné la rapidité avec laquelle il le mémorisa. Puis, après l’avoir mémorisé, il se mit à apprendre par cœur, avec empressement, les hadîths du Messager d’Allâh, qu’Allâh le bénisse et lui accorde la paix. Il écoutait les savants du hadîth et mémorisait ce qu’il entendait au fur et à mesure, avant de l’écrire, tantôt sur des tablettes d’argile, tantôt sur des peaux tannées.
Tous les témoignages indiquent qu’il était tout entier dévoué à la connaissance et à l’amour des hadîths du Prophète, et ce dès son plus jeune âge.
Outre la mémorisation des hadîths prophétiques et du Livre d’Allâh, il cherchait aussi à être éloquent en langue arabe.
Ach-Châfi‘î se mit en quête de connaissances à la Mecque, auprès des fouqahâ’(les juristes) et des savants du hadîth présents sur place, et devint si éminent que Mouslim Ibn Khâlid Az-Zanjî lui donna la permission d’émettre des fatâwâs, lui disant : “Donne des fatâwâs, Aboû ‘Abd Allâh. Désormais, tu peux donner des fatâwâs.”
Il entendit alors parler de Mâlik, l’Imâm de Médine. A cette époque, le nom de Mâlik s’était répandu à travers les terres d’Islam et les gens venaient des endroits les plus éloignés et les plus reculés pour bénéficier de son savoir. Il était alors la source la plus importante de connaissances et de hadîths. Ach-Châfi‘î était impatient d’émigrer vers Médine pour y rechercher la science mais ne voulait pas s’y rendre avant de connaître quelque peu les enseignements de Mâlik. Il emprunta al-Mouwatta’, le livre de Mâlik, à un homme de la Mecque et le lut ; selon les témoignages, il le mémorisa. Il lut al-Mouwatta’ pour accroître son désir de se rendre auprès de l’Imâm de la ville qui avait accueilli la Hijra.
Ach-Châfi‘î vint auprès de Mâlik avec une lettre de recommandation rédigée par le gouverneur de la Mecque. C’est avec cette émigration que la vie d’Ach-Châfi‘î commença à s’orienter plus particulièrement vers le fiqh. Lorsque Mâlik, qui était très clairvoyant, le vit ; il dit, “O Mouhammad ! Crains Allâh et évite les actes de désobéissance. Tu seras un homme d’une grande stature. Allâh Tout-Puissant a placé une lumière dans ton cœur, ne l’éteins pas en désobéissant.» Puis il lui dit : “Viens demain et apporte avec toi ce que tu as lu.”
Ach-Châfi‘î raconte : “J’allai le voir et commençai à lire à haute voix, le livre posé entre mes mains. Lorsque je voulus m’arrêter, intimidé par Mâlik, il indiqua qu’il aimait ma lecture et l’inflexion de ma voix et me dit : ‘Continue, mon garçon,’ jusqu’à ce que je le lui aie lu en entier en l’espace de quelques jours.”
Après cet épisode, Ach-Châfi‘î resta avec Mâlik pour apprendre le fiqh et étudier les questions sur lesquelles il émettait des fatâwâs, et ce jusqu’à la mort de ce dernier en 179 AH. Ach-Châfi‘î était alors dans la force de l’âge. Il semble qu’au cours de la période passée auprès de Mâlik, il ait eu l’habitude de s’absenter de temps à autre pour effectuer des voyages en d’autres terres d’Islam, et y apprendre ce qu’un voyageur intelligent peut apprendre sur la situation des populations et des communautés. Il allait fréquemment à la Mecque pour rendre visite à sa mère et prendre conseil auprès d’elle. Celle-ci faisait preuve de noblesse, d’un bon comportement et d’une grande compréhension. Ainsi, le fait qu’il demeura auprès de Mâlik ne l’empêcha pas de voyager et d’élargir son expérience.
Lorsque Mâlik mourut, Ach-Châfi‘î se dit qu’il avait acquis de grandes connaissances et décida, comme il était toujours pauvre à cette époque, de travailler afin de gagner de quoi satisfaire ses besoins élémentaires et d’alléger sa pauvreté.
Le gouverneur injuste émit des soupçons quant à l’engagement d’Ach-Châfi‘î avec les ‘Alaouites et envoya un mot au calife Hâroûn Ar-Rachîd selon lequel neuf ‘Alaouites étaient en pleine agitation, lui disant dans sa lettre: “Je crains qu’ils ne se rebellent. Il y a un homme ici issus des descendants d’Al-Mouttalib à qui je ne peux ni commander ni interdire.” Selon une transmission, il dit à propos d’Ach-Châfi‘î : “Il accomplit avec sa langue ce qu’un guerrier ne peut accomplir avec son épée.” Ar-Rachîd lui répondit de lui envoyer ces neuf ‘Alaouites ainsi qu’Ach-Châfi‘î.
Les sources établissent que les neuf personnes en question furent tuées, mais qu’Ach-Châfi‘î fut sauvé par son plaidoyer solide et le témoignage de Mouhammad Ibn Al-Hasan. Quant à son plaidoyer, il se présenta en tant que suspect devant Ar-Rachîd, et se tint debout entre le tapis du bourreau et l’épée, et dit : “Amîr al-Mou’minîn, que dirais-tu de deux hommes dont l’un me voit comme un frère et l’autre comme son esclave : lequel devrais-je aimer ?” Il répondit : “Celui qui te voit comme un frère.” Il dit alors : “Celui-là, c’est toi, Amîr al-Mou’minîn. Vous êtes les descendants d’Al-‘Abbâs et ils sont les descendants de ‘Alî. Nous sommes les Banoû Al-Mouttalib tandis que vous êtes les descendants d’Al-‘Abbâs. Vous nous voyez comme des frères mais les ‘Alaouites, eux, nous voient comme leurs esclaves.”
Quant au témoignage de Mouhammad Ibn Al-Hasan, il eut lieu parce qu’Ach-Châfi‘î connaissait la manière dont l’assemblée d’Ar-Rachîd traitait ce genre d’accusations et parce que les gens de savoir ont des affinités entre eux. Il mentionna donc qu’il avait certaines connaissances, notamment du fiqh, et que le Qâdî Mouhammad Ibn Al-Hasan en était informé. Lorsqu’Ar-Rachîd interrogea Mouhammad, il lui répondit : “Il a de grandes connaissances et l’homme qui l’accuse n’en a pas.” Le Calife dit alors : “Occupe-toi de lui jusqu’à ce que j’aie mené une autre enquête à son sujet,” et c’est ainsi qu’il fut sauvé.
Ach-Châfi‘î arriva à Baghdad pour ce procès en 184 AH, alors qu’il avait 34 ans. Peut-être ce procès était-il le moyen par lequel Allâh devait le pousser à se consacrer à la connaissance plutôt qu’à l’administration et au gouvernement. A partir de ce moment-là, il s’orienta vers l’étude et l’enseignement et produisit l’influence durable et le développement du fiqh qu’il allait laisser en héritage aux musulmans. Il demeura avec Mouhammad Ibn Al-Hasan Ach-Chaybânî, dont il avait entendu parler auparavant, et qu’il savait être le porteur et le disséminateur du fiqh des Iraquiens. Il est aussi possible qu’il l’ait rencontré avant cet épisode.
Ach-Châfi‘î commença à étudier le fiqh des Iraquiens, à lire les livres de l’imâm Mouhammad Ibn Al-Hasan et à étudier avec lui, associant ainsi le fiqh du Hijâz avec le fiqh d’Iraq. De cette façon, il disposait à la fois du fiqh dominé par la transmission et de celui dominé par l’opinion, et devint ainsi le maître incontesté du fiqh à son époque.
Ach-Châfi‘î resta à Baghdad comme étudiant de l’imâm Mouhammad Ach-Chaybânî et pouvait ainsi débattre avec lui et ses compagnons du fait qu’il était un faqih médinois et l’un des compagnons de Mâlik. Après quoi il retourna à la Mecque avec les livres des Iraquiens. Il n’a pas mentionné la plupart des transmetteurs qu’il a entendus à Baghdad mais il y est probablement resté pendant une période suffisante pour pouvoir se faire le transmetteur des gens de l’opinion (ra’y) et de leur école. Il semble donc qu’il soit resté en Iraq environ deux ans.
Après son retour à la Mecque, il commença à enseigner dans le Mosquée sainte de Mecca et pendant le Hajj ; il y rencontra les plus grands érudits de son temps, qui avaient entendu parler de lui. C’est à cette époque qu’Ahmad Ibn Hanbal le rencontra.
Ach-Châfi‘î se lança dans un nouveau fiqh qui n’était ni le fiqh des gens de Médine, ni le fiqh des Iraquiens, mais une alliance des deux et le produit d’un esprit éclairé qui avait mûri dans la connaissance du Livre et de la Sounna, de la langue arabe, des gens, de l’analogie et de l’opinion. C’est pourquoi les savants qui le rencontrèrent le trouvèrent unique de par son érudition. A cette époque, Ach-Châfi‘î demeura à la Mecque pendant neuf ans, comme on peut le déduire des témoignages que nous ont laissés les divers transmetteurs.
Ach-Châfi‘î se rendit à Baghdad pour la seconde fois en 195AH avec son nouveau système de fiqh. Il commença non pas en examinant les détails des décisions secondaires et des questions subsidiaires, mais en formulant les règles universelles et les principes de base qui permettaient de traiter ces questions subsidiaires. Il fit du fiqh une science totale, et non plus une simple affaire de décisions secondaires, et il dériva des règles générales plutôt que des fatâwâs et des décisions personnelles. Les savants et les étudiants du fiqh se pressaient autour de lui, ainsi que tous les spécialistes du hadîth et les gens de l’opinion qui s’adressaient à lui. C’est au cours de cette visite, dit-on, qu’il a rédigé pour la première fois son œuvre Ar-Risâla laquelle établit la base de la science des principes fondamentaux du fiqh.
Dans Les vertus d’Ach-Châfi‘î, Ar-Râzî rapporte qu’on raconte que ‘Abd Ar-Rahmân Ibn Mahdî aurait demandé à Ach-Châfi‘î d’écrire un livre définissant les pré-conditions nécessaires à la déduction de jugements utilisant le Qour’ân, la Sounna, le Consensus et l’Analogie ; clarifiant l’abrogeant et l’abrogé, et expliquant les catégories du général et du particulier. Ach-Châfi‘î rédigea donc sa Risâla et la lui envoya. Lorsque ‘Abd Ar-Rahmân Ibn Mahdî la lut, il dit : “Je ne pensais pas qu’Allâh Tout-Puissant ait créé un tel homme !” Ar-Râz continue en ce sens : “Sachez qu’Ach-Châfi‘î a écrit la Risâla alors qu’il était à Baghdad. Lorsqu’il est retourné en Egypte, il l’a réécrit et les deux versions contiennent de grandes connaissances.”
En Iraq, Ach-Châfi‘î commença à diffuser le nouveau système qu’il avait introduit. Il en exposait les principes de base et, en les utilisant, critiquait les positions existantes des connaissances. Il écrivait des livres, envoyait des lettres, et les hommes du fiqh étudiaient avec lui.
Cette visite à Baghdad dura deux ans. Il s’y rendit de nouveau en 198 AH, y séjourna quelques mois avant de partir pour l’Egypte, en 199 AH. Pourquoi est-il resté si peu de temps à Baghdad lors de cette dernière visite, alors que cette ville était le berceau de tant de savants ? Il y comptait des élèves et des disciples et le savoir y était répandu dans tous les quartiers. A cette époque, l’Egypte n’avait rien de la position occupée par Baghdad au niveau du savoir. Il est donc légitime de se poser la question. La réponse est peut-être le fait qu’Al-Ma’moûn devint calife en 198 AH.
On rapporte qu’Al-Ma’moûn proposa à Ach-Châfi‘î qâdî, mais que celui-ci s’excusa. N’étant pas préparé à rester à Baghdad, il dut partir mais ne trouva aucun endroit lui convenant pour émigrer hormis l’Egypte, dont le gouverneur était un Abbasside d’origine hachimite. Yâqoût stipule dans sa Collection : “La raison pour laquelle il partit en Egypte, est due au fait qu’Al-‘Abbâs Ibn ‘Abd Allâh Ibn Al-‘Abbâs Ibn Moûsâ, le gouverneur d’Al-Ma’moûn en Egypte, l’y avait invité.” Il partit donc pour l’Egypte où il obtint une certaine aisance grâce au partage de ses proches parents, du fait qu’il était un charîf. Il eut du succès à travers la diffusion de son savoir, de son opinion et de son fiqh. Il mourut et fut enseveli à Foustât ; sa mort survint à la fin de la nuit, le dernier jour de Rajab 204 AH, alors qu’il avait 54 ans.
Le savoir d’Ach-Châfi‘î et ses sources
Ses chaykhs, ses lecteurs et ses élèves se sont tous accordés pour dire qu’il était un modèle sans égal parmi les savants de son temps ; et ce témoignage a été confirmé par l’Histoire.
Son maître, Mâlik, a vanté ses mérites, avant même qu’il ne se soit complètement développé, et qu’il n’ait atteint sa pleine maturité. Après avoir lu le traité sur les principes de base, écrit par Ach-Châfi‘î à sa demande, ‘Abd Ar-Rahmân Ibn Mahdî a dit : “Ce sont là les mots d’un jeune homme d’une grande intelligence.”
Mouhammad Ibn ‘Abd Al-Hakam était l’un des élèves d’Ach-Châfi‘î en Egypte. Il a dit quant à lui : “Si cela n’avait pas été par le biais d’Ach-Châfi‘î, je n’aurais pas su comment répondre à qui que ce soit, et c’est à travers lui que je sais ce que je sais. C’est lui qui m’a enseigné l’analogie, qu’Allâh lui fasse miséricorde.
Il connaissait la Sounna; était doué d’un excellent caractère, d’une grande éloquence et d’une intelligence ferme et solide.”
Egalement, Ahmad Ibn Hanbal a dit à son sujet : “On rapporte d’après le Prophète, qu’Allâh le bénisse et lui accorde la paix, qu’Allâh Tout-Puissant enverra tous les cent ans à sa communauté un homme qui redressera son dîn. ‘Oumar Ibn ‘Abd Al-‘Azîz fut l’homme qui marqua la fin des cent premières années et j’espère qu’Ach-Châfi‘î sera celui qui marquera la fin du siècle suivant.”
D’après Dâwoûd Ibn ‘Alî Az–Zâhirî : “Ach-Châfi‘î possédait des vertus que nul autre ne possédait : une noble parenté, un dîn et une doctrine solides, la connaissance des hadîths forts et faibles, de l’abrogeant et de l’abrogé, du Livre et de la Sounna, des vies des Califes, et une bonne plume.”
Ce sont là certains des témoignages, tirés des livres sur ses vertus et de ses biographies, illustrant la position occupée par Ach-Châfi‘î dans le monde scientifique de son temps. Nous mettrons cependant ces témoignages de côté, y compris ceux qui nous sont utiles, car leurs auteurs peuvent être enclins à la partialité et sont évidemment opposés à ceux qui disent le contraire. Le témoignage le plus fort reste ce qu’il a laissé lui-même : les propos, les fatâwâs, les traités, les livres, les arguments et les débats qui nous ont été transmis. Chacun d’eux contient les preuves de son savoir, de ses immenses dons, de l’ampleur de son fiqh, de l’éloquence de ses exposés, et de la force de son cœur. Il était plus qu’un simple écrivain et qu’un faqîh.
Il connaissait la langue arabe et l’écriture, et était donc en mesure d’en comprendre les sens, les secrets et les intentions. Ses leçons traduisaient ces goûts. L’un de ses élèves a dit à ce sujet : “Lorsqu’Ach-Châfi‘î a commencé le tafsîr, c’était comme s’il assistait lui-même à la Révélation.” Il connaissait les hadîths, avait mémorisé le Mouwatta’ de Mâlik, était méticuleux quant aux règles de la Sounna, et comprenait les objectifs qu’il définissait. Il connaissait les textes abrogatifs et les textes abrogés de la Sounna, ainsi que le fiqh de l’opinion et de l’Analogie ; il a établi les règles à suivre pour conduire des raisonnements par analogie et répertorié les critères permettant de reconnaître s’ils étaient forts ou défectueux.
Ach-Châfi‘î disait souvent : “Quiconque apprend le Qur’an possède une immense valeur. Quiconque mentionne un hadîth renforce sa preuve. Quiconque étudie le fiqh a une noble stature. Quiconque observe le langage raffine sa nature. Quiconque tient compte du Jugement dispose d’une solide opinion. Quiconque ne se protège pas lui-même ne bénéficie pas de son savoir.”
Le fiqh d’Ach-Châfi‘î
Ach-Châfi‘î n’a pas fondé d’école indépendante ni d’opinions juridiques séparées de celles de Mâlik jusqu’à ce qu’il parte pour Baghdad lors de son premier voyage en 184 AH. Avant cela, il était considéré comme l’un des partisans de Mâlik dont il défendait les opinions.
Ach-Châfi‘î se rendit à la Mecque où il forma un cercle dans le Haram. Cela marqua concrètement le début de son école.
Ce sont peut-être bien ces études universelles qui ont capté l’attention d’Ahmad Ibn Hanbal lorsqu’il vit Ach-Châfi‘î dans son cercle à la Mecque, et qui le poussèrent à quitter le cercle d’Ibn ‘Ouyayna, qui se référait à Az-Zouhrî, pour rejoindre le cercle d’Ach-Châfi‘î. Quand quelqu’un le critiquait pour cela, il disait : “Sois tranquille. Si tu manques un hadîth maintenant, tu le retrouveras plus tard et cela ne te causera aucun tort. Mais si tu manques l’intelligence de ce jeune homme, j’ai bien peur que tu ne la retrouves jamais jusqu’au Jour de la Résurrection. Je n’ai vu personne avec autant de fiqh sur le Livre d’Allâh que ce jeune Qouraychite.” Il disait aussi : “Le fiqh était un livre fermé pour ses étudiants jusqu’à ce qu’Allâh ne l’ouvre au travers d’Ach-Châfi‘î.”
Les principes d’Ach-Châfi‘î et sa méthodologie juridique
Dans ses principes, Ach-Châfi‘î a formulé les méthodes à suivre dans la déduction de décisions secondaires. Il clarifiait un principe de déduction qu’il suivait ensuite avec certaines des décisions secondaires qui en découlaient, et expliquait la méthode permettant d’extrapoler ces décisions à partir de ce principe-là. L’étude des principes fondamentaux implique l’étude des principes eux-mêmes, en dégageant certaines des décisions de l’école, et par-dessus toute la méthodologie juridique d’Ach-Châfi‘î. Etudier la méthodologie juridique d’un savant revient aussi à étudier directement et en profondeur les conséquences de celle-ci.
L’étude d’un savant concerne ce qui lui est particulier, et Ach-Châfi‘î s’est distingué parmi les moujtahids qui l’ont précédé ainsi que parmi ses contemporains, car c’est lui qui a défini les principes de la déduction, et les a formulés en tant que règles générales.
Ach-Châfi‘î a établi les principes du fiqh parce que les fouqahâ’ avant lui avaient exercé l’ijtihâd sans avoir défini de limites à la façon dont ils déduisaient leurs décisions. Avant lui, ils s’en remettaient à leur compréhension du sens de la Charî‘a, aux objectifs et aux intentions de ses règles, et à ce que ses textes sources indiquaient. Ils étaient semblables à des gens qui affirment des preuves par instinct sans recourir le moins du monde à une procédure logique.
Ach-Châfi‘î se mêla et débattit avec les fouqahâ’. Leurs méthodes de déduction s’exprimaient au cours des discussions et des débats. En conséquence, il posa des limites et des règles et formula des critères. Ar-Râzî a dit des réalisations Ach-Châfi‘î dans ce domaine : “Sachez que, l’attribution de la science du ousoûl al fiqh à Ach-Châfi‘î est semblable à celle de la logique à Aristote et à celle de la métrie (al ‘aroûd) à al-Khalîl Ibn Ahmad.”
Le premier livre qu’écrivit Ach-Châfi‘î sur les ousoûl fut la Risâla qu’il rédigea pour ‘Abd Ar-Rahmân Ibn Mahdî avant de se rendre en Egypte, puis réécrivit par la suite là-bas. Cet ouvrage est célèbre et contient la plupart des opinions d’Ach-Châfi‘î concernant les ousoûl, mais pas toutes. Ach-Châfi‘î a réalisé d’autres études sur les fondements du Droit (al ousoûl) : le Livre de la non validité de l’istihsân et le Kitâb Jimâ‘ al-‘Ilm. Nombreuses parmi ses règles se dégageaient au cours de ses débats avec ses opposants.
La connaissance de la Charî‘a
Ach-Châfi‘î divisait la connaissance de la Charî‘a en deux parties. L’une était la science des gens ordinaires – les connaissances qu’aucun Musulman ne peut ignorer et doit connaître. Cela fait référence aux points essentiels de la Charî‘a, comme les cinq prières obligatoires, le jeûne du mois de Ramadan, le Hajj pour quiconque en a les moyens, l’obligation de verser la zakât, et les interdictions concernant la fornication, le meurtre, le vol et la consommation d’alcool. Tout cela figure dans le Qour’ân, en des textes clairs qui n’admettent aucune interprétation, ainsi que dans la sounna moutawâtira du Messager, que le Salut de Dieu soit sur lui.
La seconde partie concerne les décisions secondaires que les gens voient dans la Charî‘a, à propos desquelles soit il n’y a pas de texte dans le Qour’ân, soit il y a un texte qui nécessite une interprétation et aucun texte mutawatir du Messager ; ou bien, s’il existe un hadîth, c’est une tradition unique, ou un hadîth dont le texte peut être interprété de différentes manières. C’est là la connaissance de l’élite.
Les deux types de savoir se répartissent en fonction de la responsabilité et de leur acquisition. Pour ce qui est de la responsabilité, la connaissance ordinaire est nécessaire à tout Musulman, tandis que la connaissance de l’élite n’est indispensable qu’à celle-ci, comme fard al-kifâya (obligation collective), qui n’est exigé que de ceux qui en sont capables, et dont la pratique par certains annule le péché de non-participation pour les autres. Toute personne saine d’esprit peut comprendre la première partie de ce savoir, cela ne nécessite pas de capacités particulières. La seconde n’est entreprise que par l’élite qui hérite de la connaissance du Livre et de la Sounna, des témoignages des Compagnons, et des sujets de désaccords. Ces derniers ont le droit de recourir à la déduction, c’est même un devoir pour eux.
Ach-Châfi‘î a expliqué la différence entre la connaissance des gens ordinaires et la connaissance de l’élite de la façon suivante : “Il y a deux types de savoirs : le savoir des gens ordinaires duquel aucun adulte sain d’esprit n’est ignorant, comme les cinq prières, le fait qu’Allâh ait ordonné aux gens de jeûner le mois de Ramadan, d’accomplir le Hajj vers la Maison s’ils en sont capables, et de payer la zakât sur leurs biens ; qu’Il leur ait interdit la fornication, le meurtre, le vol, et l’alcool, et d’autres choses semblables que les gens doivent connaître et apprendre ou pour lesquelles ils doivent donner de leurs biens ou s’abstenir. Toutes ces connaissances existent de par un texte du Livre d’Allâh et sont universellement reconnues par toutes les populations musulmanes. Elles sont transmises par les gens eux-mêmes. Ils les rapportent d’après le Messager d’Allâh et ne peuvent polémiquer à leur sujet. Il s’agit d’un savoir ordinaire à propos duquel aucune erreur n’est possible au travers d’une tradition ou d’une interprétation, et qui n’est aucunement sujet à controverse.”
Le second type est le savoir de l’élite, qu’il décrit comme suit : “Les décisions secondaires qui sont dégagées pour les gens et pour d’autres questions, et qui, dans la plupart des cas, ne disposent d’aucun texte de référence dans le Livre ni dans la Sounna. S’il existe une Sounna à propos d’une chose particulière, c’est l’un des témoignages de l’élite [témoignages uniques], et non celui de la masse.
Et cette chose est sujette à l’interprétation et à l’analogie.”
Le savoir de l’élite est l’objet d’études des fouqahâ’, et c’est cela que s’efforce de déduire le moujtahid. C’est là ce à propos de quoi il y a controverse. C’est là ce pour quoi des règles sont formulées de façon à ce que la déduction soit fiable et que ces règles deviennent les critères permettant de distinguer de façon certaine une erreur d’un jugement correct, et de parvenir à une prise de décision entre deux opposants en désaccord.
Il ne fait aucun doute que les principes communs de la déduction sont ces mêmes règles qui caractérisent le savoir de l’élite, et qu’il n’est pas obligatoire pour tous les Musulmans de les acquérir. En effet, tous les Musulmans n’en sont pas capables car ce sont des critères précis permettant d’évaluer l’opinion et de guider le moujtahid dans sa déduction.
Les preuves à l’appui du jugement selon Ach-Châfi‘î
Ach-Châfi‘î divise la connaissance selon cinq catégories, classées comme suit en ordre décroissant.
Premier rang : Le Livre et la Sounna digne de foi. La Sounna et le Livre occupent le même rang car la Sounna explique le Livre dans de nombreux cas. Si un hadîth est fort, il est placé au même niveau que le Livre. Si en revanche, les témoignages sont uniques, ils n’ont pas le même rang, puisque le Qour’ân est rapporté par de multiples chaînes de transmission. Le Qour’ân ne peut en aucun cas être contredit par la Sounna.
Second rang : Le consensus à propos de ce qui figure dans le Livre et dans la Sounna. On entend par consensus l’accord de ces fouqahâ’ ayant reçu le savoir de l’élite et n’étant pas limités par la connaissance des gens ordinaires. Leur consensus a valeur de preuve pour leurs successeurs en ce qui concerne les questions au sujet desquelles ils sont tous d’accord.
Troisième rang : L’avis de l’un des Compagnons du Prophète. C’est lorsque l’un des Compagnons du Prophète a émis une opinion sur un sujet particulier, et que l’on sait qu’aucun autre Compagnon ne s’est opposé à lui à ce sujet. L’opinion d’un Compagnon est meilleure pour nous que notre propre opinion.
Quatrième rang : Une question à propos de laquelle les Compagnons du Messager d’Allâh avaient des opinions divergentes. En l’occurrence, un faqîh devra adopter l’opinion qui lui paraît la plus proche du Livre et de la Sounna. Leurs opinions ne doivent en aucun cas être négligées au profit des opinions de quiconque d’autre.
Cinquième rang : L’analogie pratiquée sur base de ce qui est connu des autres catégories : le Livre, la Sounna, et le consensus. Un raisonnement par analogie devra être conduit sur une base textuelle provenant du Livre ou de la Sounna ou dont le jugement est connu par consensus ; ou bien en suivant la position incontestée de l’un des Compagnons ou l’un de ses avis auquel un autre Compagnon s’oppose.
Ce sont là les catégories de savoir telles qu’elles ont été formulées parAch-Châfi‘î, et nous allons nous pencher sur chacune d’elles séparément.
Le consensus
Ash-Shafi‘i a confirmé que le consensus fournit une preuve faisant autorité et que son rang vient après le Qour’ân et la Sounna, et avant l’analogie. Nous l’avons déjà mentionné. Ach-Châfi‘î stipule à la fin du Risâla : “Le jugement est rendu par le Livre et la Sounna, et par ce qui est unanimement accepté, au sujet duquel il n’y a aucun désaccord. Nous disons donc que nous jugeons par la vérité dans ce qui est apparent et implicite, et que nous jugeons par un hadîth rapporté par une chaîne de transmission unique et à propos de laquelle tout le monde n’est pas d’accord. Nous disons donc que nous jugeons par la vérité et par ce qui est apparent, parce qu’il pourrait y avoir une erreur de la part de celui qui rapporte le hadîth. Nous jugeons par consensus, puis par l’analogie, qui est plus faible car elle n’est pas licite là où un texte authentique de la Sounna existe.”
Pour Ach-Châfi‘î, le consensus consiste en ce que tous les savants du moment s’accordent sur une question particulière, auquel cas, leur consensus a valeur de preuve pour ce au sujet de quoi ils s’accordent. Il dit dans le chapitre sur la non validité de l’istihsân : “Ni moi ni aucun des gens de science ne dirait ‘ceci est collectivement accepté’ si ce n’est sur une question au sujet de laquelle il te sera impossible de trouver un savant qui ne te répète pas la même chose, le rapportant d’un prédécesseur, comme le fait que la prière de zouhr compte quatre raka‘âtes, que le vin soit interdit, etc.”
Le premier consensus pris en compte par Ach-Châfi‘î est celui des Compagnons. Cela ne fait pas référence au fait qu’ils aient entendu une Sounna du Messager d’Allâh à propos de laquelle ils étaient tous d’accord, auquel cas c’est la Sounna qui constitue la preuve et non leur accord ; mais plutôt quand il était question de leur propre ijtihâd. L’existence authentique d’une Sounna signifie qu’il n’est nul besoin de recourir à l’ijtihâd. Ils utilisaient leur ijtihâd uniquement sur des sujets à propos desquels il n’y avait pas de texte issus de la Sounna qui contredisent leur consensus.
L’analogie
Ach-Châfi‘î fut le premier à formuler les règles du raisonnement par analogie et à en expliquer les bases. Les fuqahâ’ avant lui et à son époque faisaient usage de l’opinion sans en expliquer les limites ni les bases : en d’autres mots, ils leur manquaient une série de critères leur permettant de distinguer les opinions solides des faibles. Ils ne fixaient pas de limites ni n’établissaient de règles et de principes jusqu’à ce qu’Ach-Châfi‘î ne pose les règles permettant de déduire quelles décisions il considérait comme bien fondées, et quelles décisions il jugeait douteuses. Il définit les limites de l’analogie, la classant en divers degrés, et détermina la force du fiqh basé sur l’analogie en comparaison au fiqh basé sur les Textes légaux. En outre, il clarifia les conditions préalables que doit réunir un faqîh lorsqu’il procède à une analogie. Il distingua ensuite l’analogie des autres types de déduction par l’opinion car il pensait qu’ils étaient tous douteux, à l’exception de l’analogie.
La non validité de l’istihsân
Ach-Châfi‘î dit dans La non validité de l’Istihsân : “Tout ce qui est décrit tel que je l’ai mentionné concernant la règle d’Allâh, puis la règle du Messager d’Allâh, puis le jugement de la communauté des Musulmans a valeur de preuve. Aucun juge ni aucun mouftî n’a le droit de juger ou d’émettre une fatwâ à moins que ce ne soit basé sur un témoignage contraignant : c’est-à-dire, sur le Livre, puis sur la Sounna ou sur ce que les gens de science affirment sans que ce soit contesté ou sur une analogie basée sur un ou plusieurs de ces éléments.”
Cette phrase est représentative de sa position quant à l’istihsân telle qu’il l’exprime dans tous ses livres, et montre deux choses. La première est le fait que tout ijtihâd dans lequel le moujtahid ne se réfère ni au Livre, ni à la Sunna, ni à la tradition, ni au consensus, ni à une analogie basée sur l’un de ces éléments, est en fait un istihsân, parce que le moujtahid y prend ce qu’il préfère, sans se baser sur la preuve ou l’orientation d’un texte. La seconde est que l’ijtihâd par le biais de l’istihsân, sans référence à un texte solide et aux preuves qui conviennent, est selon lui fausse et ne relève pas de la Charî‘a.
Les avis des Compagnons
Ach-Châfi‘î plaçait les avis des Compagnons au quatrième rang après le Livre, la Sounna et le Consensus, et avant l’Analogie ; et qu’il acceptait l’avis d’un Compagnon s’il n’était pas contesté, et choisissait parmi eux lorsqu’il y avait des avis divergents. Ainsi, il acceptait les avis des Compagnons et les utilisait pour en dériver des jugements. On pourrait penser qu’il faisait cela dans le cadre de son ancienne école, et pas dans la nouvelle – mais ce n’est pas ce que l’on trouve dans la Risâla égyptien, rapporté par Ar-Rabî‘, et dans al-Umm, qui organise la nouvelle école. En fait, il fit la même chose dans chacune des deux écoles, comme l’établit Ibn Al-Qayyim dans I‘lâm al-Mouwaqqi‘în. Cependant, il apparaît qu’il ne considérait pas que les avis des Tabi‘un aient en eux-mêmes valeur de preuve.
Ach-Châfi‘î explique la Loi selon les significations et les indications explicites, et non pas selon le sens caché ou implicite
Nous pouvons dire que dans son explication de la Charî‘a, dans l’extrapolation qu’il faisait de ses règles, dans la déduction de ses principes, Ach-Châfi‘î s’en remettait à l’orientation extérieure et apparente des Textes de la Loi. C’est pourquoi il a rejeté l’istihsân (l’appréciation de l’érudit) : parce que celui-ci était basé sur l’état du faqîh ou sur l’esprit de la Charî‘a, et dépendait de la perception de ce même faqîh, formé et compétent dans la pratique de la Charî‘a dont il maîtrisait les racines, les branches et les sources. Ach-Châfi‘î rejetait cette approche parce qu’elle n’était basée sur aucun texte au niveau de ses expressions, de ses orientations ou de ses preuves. Il adopta plutôt une approche plus littérale et objective des textes. Selon lui, les règles juridiques et les jugements de la Charî‘a ne concernaient que des questions extérieures. Il n’incombe pas au qâdî de s’immiscer dans les secrets les plus intimes des gens – cela reste entre eux et leur Créateur.
Le travail d’Ach-Châfi‘î sur les principes fondamentaux
Il ne fait aucun doute que la science du fiqh soit antérieure à celle des principes du fiqh et au fiqh développé par déduction, fatwâ et ijtihâd. L’ijtihâd était déjà pratiqué du vivant du Prophète. Les Compagnons avaient l’habitude de l’utiliser quand ils étaient loin du Prophète, à qui ils le soumettaient ensuite pour savoir si leur décision était juste ou non. Puis l’ijtihâd continua d’être utilisé après lui, et fut à son apogée à l’époque des Califes bien guidés.
Parallèlement aux hadîths du Messager d’Allâh, ils transmirent aux gens un grand nombre de cas, de fatwâs et de décisions effectives rendues alors qu’ils étaient à la tête de l’état où il leur fallait maintenir l’ordre et traiter de nombreuses questions. Puis vinrent les Tâbi‘oûn, dont certains étaient compétents dans la fatwâ, et qui émirent des fatâwâs en relation avec des situations qui s’étaient produites ou étaient susceptibles de se produire. Ce fut ensuite le temps des moujtahids qui fondèrent les écoles juridiques, amenant un grand nombre de fatâwas, de cas et de jugements, de formes diverses et variées, en terres musulmanes. Mâlik avait une collection juridique ; les savants du hadîth de la Mecque avaient une collection de hadîths et de traditions liés au fiqh ; et les Iraquiens avaient leur propre fiqh, dont la majeure partie provenait de Mouhammad Ibn Al-Hasan Ach-Chaybânî. Il existait donc différentes collections juridiques qui constituaient une source très riche pour la connaissance et la déduction.
Ach-Châfi‘î arriva au milieu de cette abondance et des vigoureux débats qui opposaient à ce sujet les gens de différentes orientations. Il s’y engagea d’une manière intelligente. Le fait de débattre l’amena à réfléchir sur les critères qui sous-tendaient les positions des divers intervenants dans les débats : Comment distinguer le vrai du faux, et les bases de l’investigation, de la déduction et de l’ijtihâd ? L’un des aspects de cette réflexion fut d’examiner les principes de la méthodologie du fiqh de façon à formuler une base solide pour la déduction, des règles systématiques et des critères par lesquels analyser les opinions et distinguer clairement le fiable du faible.
Lorsqu’Ach-Châfi‘î arriva sur cette scène, il était capable, grâce à sa connaissance de la langue arabe, de déduire des règles pour la compréhension des règles du Qour’ân. Il fut aidé dans cette tâche par les études que les Compagnons avaient faites du Qour’ân, en particulier ‘Abd Allâh Ibn ‘Abbâs qui fut le premier enseignant de l’école mecquoise et était celui, parmi les Compagnons qui possédait la plus grande connaissance du Qour’ân et de ses versets abrogeant et abrogés. A la même époque, en raison de sa connaissance des hadîths et de l’accord ou du désaccord à leur sujet, il était capable de définir la position de la Sounna par rapport au Qour’ân. Il apparaît clairement dans les livres d’Ach-Châfi‘î qu’il s’intéressait à l’étude des désaccords des Compagnons entre eux et qu’il les analysait. Il connaissait bien le fiqh des tenants de l’opinion qui recouraient à l’analogie sans pour autant en avoir formulé les règles.
Ach-Châfi‘î s’est saisi de la tâche d’établir des principes pour la méthodologie de la déduction afin de guider le moujtahid, et il en a formulé les critères. Il a établi un système universel fondé sur des principes solides, différent d’une simple collection de fatâwâs et de précédents ou ne résolvant que les questions hypothétiques, fournissant ainsi un système que tous les moujtahids allaient pouvoir suivre. Son influence sur le développement de l’Islam par la suite ne peut être exagérée, mais il est juste de dire que l’Islam dont nous avons hérité aujourd’hui est en grande partie le résultat du système formulé par Ach-Châfi‘î il y a de cela douze siècles.